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L’été 68: le général Franco s’assied sur la liberté d’expression

Le quotidien «Madrid», comme beaucoup d’autres organes de presse pendant la dictature, est honni du pouvoir. Il a subi tellement de sanctions pécuniaires qu’il en est mort en 1971

Agrandir l'image Une marche contre le général Franco l’appelant à quitter le pouvoir comme le général de Gaulle la même année, en 1969 à Estella-Lizarra (Navarre). Elle sera interrompue par les coups de sommation de la Garde civile. — © Rolls Press/Popperfoto/Getty Images
Une marche contre le général Franco l’appelant à quitter le pouvoir comme le général de Gaulle la même année, en 1969 à Estella-Lizarra (Navarre). Elle sera interrompue par les coups de sommation de la Garde civile. — © Rolls Press/Popperfoto/Getty Images

Du lundi au vendredi en juillet-août, «Le Temps» plonge dans ses archives historiques pour vous faire revivre l'été de l'année 1968. Deux mois de contestation tous azimuts dont on fête le jubilé cette année, avec le «Journal de Genève» et la «Gazette de Lausanne».

Episodes précédents:

Après la guerre civile espagnole et l’arrivée de Francisco Franco au pouvoir, la presse espagnole a subi de grosses restrictions de libertés. L’agence EFE a été créée en 1939 par le général lui-même mais, en dehors de ce service aux médias, les journalistes étaient strictement contrôlés par l’Etat, soucieux de préserver ses prérogatives sur l’information. Mais peu à peu, dans les années 1960 et jusqu’à la mort de Franco en 1975, la presse généraliste va pouvoir se libérer. En 1968, c’est cependant encore loin d’être le cas, comme ce n’est pas non plus le cas de la liberté d’expression des citoyens.

Une nouvelle loi sur la presse est certes entrée en vigueur, mais «après deux années de liberté toute relative, écrit Richard Mowrer à la une du [Journal de Genève](http://www.letempsarchives.ch/page/JDG19680806/1)_ du 6 août, la presse espagnole est à nouveau énergiquement réprimée». Une sanction, en particulier, fait beaucoup parler d’elle, celle qui frappe l’un des plus grands quotidiens du soir, le Madrid. Le 1er juin, le gouvernement avait déjà «ordonné sa suspension pour deux mois» et une autre de ses décisions «la prolonge maintenant pour deux autres mois».

© LeTempsArchives.ch
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A cette sombre époque, le Madrid se distinguait dans la presse dite «indépendante», avec ses idées propres et fréquemment très critiques à l’égard du régime. Une ligne qui entraîna d’importantes tensions avec le gouvernement. En raison notamment d’un célèbre et courageux éditorial de Calvo Serer qui, de façon indirecte et en recourant à une subtile comparaison avec Charles de Gaulle, demandait au général Franco de quitter le pouvoir. Leitmotiv qui était d’ailleurs partagé par les opposants, nombreux, au franquisme.

Avalanche de sanctions. Certes, Serer attaquait directement le président français en pleine tourmente de Mai 68, mais d’une manière qui a paru dirigée contre le dictateur espagnol. Il avait notamment écrit, rapporte le Journal, que «la constatation la plus évidente» était «l’incompatibilité d’un gouvernement personnel et autoritaire, combiné avec les structures d’une société industrielle, face à la mentalité démocratique du monde libre d’aujourd’hui».

Riposte contre la «trahison»

La riposte ne s’est pas fait attendre: «Tous les numéros du Madrid qui n’avaient pas encore été mis en vente furent saisis.» La rédaction en chef et la direction écopèrent de très lourdes amendes. Et le comble, c’est que «l’intensification de mesures disciplinaires contre la presse» était justifiée «par la crainte du régime franquiste […] de perdre le contrôle de la libéralisation»! Résultat: «Alors que les journaux de tendance gouvernementale demeurent serviles, un certain nombre de publications dirigées par des Espagnols progressistes ont pris des positions indépendantes que les durs du régime et les activistes trouvent à la limite de la trahison.»

Les chiffres sont accablants. On parle de centaines de jugements de presse en deux ans. Et dans ce cas précis, le Nuevo Diario juge que la deuxième suspension du Madrid «pourrait bien entraîner la disparition du journal». D’ailleurs, trois ans plus tard, en novembre 1971, en raison de supposées irrégularités dans le financement du groupe éditorial, le journal fut de nouveau interdit. Et après plusieurs batailles judiciaires, la direction se vit contrainte de vendre son patrimoine, dont son siège, pour faire face aux dettes accumulées. Depuis, la Fondation Diario Madrid octroie chaque année un prix de journalisme en souvenir des luttes passées.